Bien sûr que je suis heureuse ! C’est juste que j’aie peur… toujours. Ne croyant pas en une «présence», en une puissance supérieure, j’ai de quoi m’inquiéter pour mon avenir post-mortem. C’est une angoisse cuisante, omniprésente, révoltante. Et si il n’y avait rien après la mort ? Je tomberai dans le néant, d’un coup d’un seul, et tout sera fini ? La vue, l’ouie, l’odorat, le goût, le toucher, la conscience ? Disparus ? Moi… Disparue ? C’est insoutenable à en crier, à en devenir folle. Mon amour de la vie est ma première cause de tristesse. Cette peur est tellement absurde, la vie est tellement absurde. Ah bien sûr, ce serait plus simple d’avoir peur des araignées… Un coup de chaussure et j’écraserai ma phobie ! Mais il me faudrait une sacrée pointure pour écraser la mort.
Alors, évidemment, je pourrai écouter des chansons m’ordonnant de profiter, suivre des conseils-clichés que chacun prend à son compte et en est fier. Mais non. Si je profite, c’est naturel, c’est physique… Je respire en y pensant, je mange en savourant, je maudis mon besoin de sommeil… Je voudrais voler d’un endroit à l’autre, ralentir les heures, même les plus pénibles. Je suis née grande-prématurée, et c’était sûrement pour gagner du temps. Alors je continuerai, avec excès. Je vivrai excessivement, respirerai trop, boirai trop, rêverai trop (mais éveillée), aimerai trop, écrirai trop, vivrai trop, parlerai trop , écouterai trop, pleurerai trop, serai insupportable. J’exploserai des records d’excès, à en user tous mes organes. Et je résisterai, vivrai à n’en plus finir. Non, je ne mourrai pas de si tôt. Je prendrai mon temps, puisqu’il est à moi, j’apprendrai à le palper et à me l’approprier. Finie l’angoisse. Mes crises d’angoisse ne sont finalement que des crises de bonheur. Bonheur d’avoir été poussière et de ne pas l’être restée, quitte à le redevenir après. Bonheur d’avoir mon propre secret de la vie : je ne suis ici pour rien, pour rien d’autre que pour faire de mon mieux. Je veux croire que je vais toujours vers le mieux, et je ne me retourne que pour ne pas oublier. Je sortirai de là épuisée d’avoir trop respiré, usée jusqu’à la moelle et débordante de souvenirs. Je veux saisir le temps et l’avaler à petites gorgées… Bien sûr que je suis heureuse !