J’ai un syndrôme de la page blanche, depuis hier. Plus rien. Le stylo suspendu, en lévitation, en grève. Ultime auto-trahison. Je n’aurais rien à dire ? Ultime absurdité : je suis en train d’écrire pour ne rien écrire. Soudain, je revois Rémi Tercier, dans le métro, qui me lance : « tu n’as rien pour toi », je ne sais pas pourquoi je m’inflige ce flash back qui me met mal à l’aise. Rémi Tercier, gros con qui ne me trouvait pas assez bien pour lui, qui voulait une fille en forme de médaille, avec une belle face et un beau revers. Je n’étais hélas pas une médaille lisse et dorée, pas du tout. Et soit dit en passant, Rémi Tercier, je l’emmerde. Lui et tous les autres de son genre : les petits garçons tristes, devenus des ados rebelles en quête d’une consécration : être dépucelé par une fille parfaite. Eux et toutes les filles parfaites.
Oui, je n’ai pas eu la chance de naître dans une rose bonbon. Non, je ne suis pas à croquer. Oui, j’ai un léger surpoids à corriger. Non, je n’aime pas faire les magasins. Oui, je me sens bête. Non, je ne ressemble pas à Lara Croft. Le test est formel. Résultat : Votre côte sera très basse cet été, rentrez chez vous, mangez du chocolat, achetez des chats et une couverture en laine. C’est fini Emily. Tu pourras t’imaginer autant de fois que tu le veux qu’un jour, tu te vengeras en devenant une bête de scène, ou une écrivain, ou juste jolie, çà ne servira à rien. Tu ne seras jamais une-fille-qui-a-la-côte-cet-été. C’est triste. Accusez moi de faire du Bridget Jones mais c’est triste. Je n’ai rien pour moi. Je ne suis pas douce, lisse, lumineuse, sensuelle. Je ne me reconnais pas dans les pubs Shwarsckof ou dans Elle. Je ne suis pas féminine. Mon deuxième chromosome X ne doit être qu’un Y complexé parti au Brésil pour changer, ce n’est pas possible autrement.
Je devrais avoir quelque chose pour moi, n’importe quoi, un œil qui frise, une jolie taille, une poitrine avantageuse…Quelque chose qui ferait de moi une fille imparfaite, mais au moins une fille…
Finalement, j’ai trouvé ce qui fait de moi une Emily si féminine : je doute, je pars dans de longues diatribes pour me plaindre de moi, de mon corps, de mon sort, de ma frustration. Et tout çà à cause d’une remarque ridicule et méchante de Rémi Tercier (qui, toujours en passant, a toujours été ridicule et finira trimballé de droite à gauche par sa bimbo tachetée, pur race, belles dents, rarement visibles par manque de sourire) Je suis une fille qui doute à cause d’un abruti. Alléluia. Chromosome X en puissance. A part çà, je n’ai pas un comportement très féminin. Donc, à part çà, je suis parfaite.
Oui je sais, c’est trop facile de jouer la carte du sarcasme pour combler une page blanche…