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Regard
29/01/2007 15:53
Elle a les yeux fixés sur le miroir. C'est un "miroir de poche" de la taille d'un sac à main. Elle est très concentrée, immobile. Seule sa main droite est en mouvement, armée d'un tube de mascara. La main virevolte gracieusement: elle dessine.
La jeune femme dessine ses cils, elle les noircit scrupuleusement, les allonge, les épaissit. Cela fait une poignée de minute, assise sur ce banc d'abribus, qu'elle peint son regard.
Son art est précis, juste. Son geste est automatique et rigoureux. Elle dessine, elle sculpte.
Le vent souffle fort: autour, tout virevolte. Elle est stable. Si sa main frémit, trébuche et tâche une paupière, alors elle fait la moue, salive sur son index et efface le noir déplacé.
Elle prend son temps, elle se regarde dans les yeux. Toute sa journée comme là, dans cet instant. Cet instant parfait la fait femme. Bien sûr, pas n'importe quelle femme: elle est LA femme, la femme aux longs cils, au regard velour.
Elle ne fait jamais papillonner ses cils, son regard n'est pas celui d'une midinette de bas étage. Toute la journée, elle le promènera sur tout et sur tous, elle leur infligera cette longueur, cette épaisseur, cette douceur cruelle. Cruelle, oui, elle ne cède jamais, elle ne baisse pas les yeux. Une journée entière la tête haute, une journée passée à tenir tête, à bien se tenir.
Tout passe par ses yeux, ses grands yeux écarquillés, ses yeux gourmands. Voilà, elle avalera tout, le monde entier passera sous ses cils.
Elle a fini. Elle range le mascara mais pas le miroir. Elle se regarde encore, admire la symétrie. L'oeuvre est finie pour aujourd'hui. Elle la regarde, puis regade son visage tout entier. Elle n'est pas belle, mais à quoi bon... Ses yeux sont beaux, ils sont tout.
Ce soir, elle effacera. le mascara waterproof sera tenace et c'est tant mieux. S'il ne l'était pas autant, les larmes le balaieraient trop souvent...
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